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افغان تاريخ

Histoire de l’ambassade de France en Afghanistan, de la Légation française jusqu’au Traité d’amitié

af.ambafrance.org

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1- Des premiers voyageurs à la Légation française

L’intérêt des Français pour l’Afghanistan est ancien. Dès 1821, deux Français qui travaillaient à la Cour de Perse, Jean-François Allard et Jean-Baptiste Ventura, reviennent en France en passant par Kaboul, Peshawar et Lahore. Sur leur chemin, ils se lient d’amitié avec le nawab Djabar Khan, gouverneur du Laghman. Peu après, ils sont rejoints à Lahore par deux amis, Auguste-Claude Court et Paolo Avitabile, qui traversent à leur tour l’Afghanistan où l’ « émir du Caboulistan » essaie de les retenir à ses côtés. Les Mémoires d’Auguste-Claude Court sont l’un des premiers témoignages (inédit) en français sur l’Afghanistan.

Portrait du Général Jean-Baptiste Ventura

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Portrait du Général Jean-François Allard

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Plus tard, Jean-Paul Ferrier, JPEGofficier des chasseurs d’Afrique, traverse la région en 1845 et publie son récit de voyage en 1856, tandis que James Darmesteter (photo ci-contre), professeur au Collège de France, y séjourne 7 mois. Il publie en 1888 les « lettres sur l’Inde à la frontière afghane », puis les « Chants populaires des Afghans ». Cet intérêt se reflète dans la littérature et Gobineau intitule une de ses Nouvelles asiatiques « Les amants de Kandahar ».

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Ci-dessus, une carte des routes de Kandahar à Kaboul dressée par un afghan et transmise par le comte Gobineau

JPEGInversement, la France exerce son attraction sur les Afghans, dont le plus illustre est Sayyed Djamâluddin Al Afghâni (photo-ci contre), qui vit à Paris de 1883 à 1887, y fonde un journal et n’hésite pas à polémiquer avec Ernest Renan dans les pages de l’Intransigeant.

A peine l’Afghanistan a-t-il retrouvé, en 1919, la maîtrise de ses relations extérieures qu’il se rapproche de la France. Mahmoud Tarzi, qui a visité Paris lors de l’Exposition Universelle de 1889 et qui a traduit des œuvres de Jules Verne en dari, devenu Ministre des Affaires Etrangères, envoie en juin 1921 un ambassadeur itinérant en France. Mohammad Wali Khân est reçu par le Président de la République Alexandre Millerand, par le Président du Conseil Raymond Poincaré et un traité franco-afghan est signé le 28 avril 1922. Ce texte prévoit l’envoi respectif de missions diplomatiques et les deux capitales ne perdent pas de temps. Un projet de loi pour le vote des crédits nécessaires à l’ouverture d’une représentation diplomatique est déposé au Parlement français le 8 juillet 1922. Dès l’année précédente, avant même la conclusion du traité, le gouvernement français avait demandé à Alfred Foucher, orientaliste et archéologue de se rendre à Kaboul. Alfred Foucher, qui se trouvait alors à Calcutta où il participait aux travaux d’aménagement du musée, avait pris la route de la Perse (un voyage direct depuis les Indes aurait pu alerter les autorités britanniques). Il arrive à Kaboul le 10 mai 1922 et y trouve déjà des légations britannique, italienne, russe, perse et turque. Son attention est attirée par le comportement des autorités à leur égard :

« Une sorte d’instinct, qui n’est autre que celui de la conservation, met en garde les Afghans contre tous leurs voisins immédiats et cette méfiance est si forte qu’elle établit aussitôt une distinction marquée dans leur attitude à l’égard des diverses légations. On peut aussitôt répartir celles-ci en deux groupes, selon leur proximité ou, au contraire, leur éloignement géographique ».

Avec la France, la volonté du gouvernement afghan est d’aller vite : le lycée Esteqlal est créé à cette époque et, le 9 septembre 1922, un accord entre les deux pays accorde à la France la concession pour 30 ans des fouilles archéologiques.


Ci-dessous, cahier d’un élève de classe élémentaire de 8ème du collège Amaniyeh (aujourd’hui lycée Esteqlal de Kaboul)

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Les deux missions diplomatiques s’installent : Mahmoud Tarzi, nommé ambassadeur en France, débarque à Marseille le 14 août 1922, présente ses lettres de créance le 6 novembre et achète en mars 1923 le 57 avenue Henri Martin pour y installer l’ambassade. A Kaboul, Maurice Fouchet, Ministre plénipotentiaire, arrive le 16 septembre 1923. Le gouvernement afghan avait proposé en mars 1922 de faire don à la France d’un terrain pour y construire la Légation de France mais le projet n’aboutit pas et, le 19 décembre 1923, Maurice Fouchet signe avec la municipalité de Kaboul un bail de location d’un palais pour 7500 roupies afghanes.

Les relations entre les deux pays progressent vite. Elles portent sur l’éducation : dès octobre 1921, un groupe de 35 jeunes Afghans arrive à Marseille pour étudier au lycée Michelet de Vanves. Parmi eux, le futur roi Zâher Khan, les deux fils Tarzi, le futur Premier Ministre et Président de la République Mohammad Dâoud. Bien entendu, après l’accord de 1922, la coopération concerne aussi l’archéologie : Joseph Hackin, conservateur au Musée Guimet de Paris, découvre fin 1924 à Païtava (Kapisa) un Bouddha au grand miracle. Le Musée Guimet, qui vient de réorganiser ses collections, insère logiquement les trouvailles afghanes dans la Route de la Soie. La France s’implique enfin dans la modernisation du pays. C’est ainsi qu’en 1927, le Ministre de France, M. Feit, cède au gouvernement afghan une partie de la Légation pour y construire une école de télégraphie. La France est en effet impliquée dans la mise en place d’un système de poste, télégraphe et téléphone. Il est prévu que les autorités cèdent en contrepartie un terrain sur lequel elles feront construire à leurs frais une maison. Un terrain de tennis est inclus dans le projet.

Déjà Maurice Fouchet avait songé à déménager. Sa description des représentations étrangères est pourtant idyllique :

« Voisines de la campagne se comptent les Légations d’Angleterre, de France, d’Italie, de Perse et de Turquie. Espacées le long de plusieurs voies différentes, elles représentent, avec leurs maisons modernes, la plupart au milieu d’allées fleuries, presque tout l’élément étranger et ressemblent à des sentinelles immobiles, engourdies sous le soleil. On va droit aux champs proches et à un paysage d’estampe, avec de vieux remparts en face, tout décrépits, que dominent dès l’automne des géants de neige  ».

Mais un autre lieu a captivé son regard, à Dar-ul-Aman, ville nouvelle conçue par le roi en partie selon les plans d’un architecte français, André Godard :

« Aux flancs de la vallée de Dar-ul-Alman existe un petit palais de féerie, où eût été installée la Légation de France si, plusieurs jours avant mon arrivée, les suites d’un terrible orage n’avaient rendu ce site délicieux, inhabitable pour un temps. Du gazon et des pétunias que ne borde aucune balustre forment un escalier, de la demeure à la plaine, avant de s’épanouir en arbres séculaires. Au faîte de ces degrés, la maison du maître rêve en paix, entourée d’une galerie qui domine, sur la façade, un bassin rectangulaire. Le harem isolé, sans aucune ouverture, ressemble à une forteresse, mais sa cour intérieure n’est bordée que de trois côtés par une loggia sur laquelle s’ouvrent les appartements et dont les proportions, très suffisantes pour la promenade, se fondent agréablement. Du quatrième côté, un mur préparé avec art permet aux pauvres claustrées de regarder au loin sans que les passants puissent, d’en bas, apercevoir les visages. La cour dallée offre encore de l’eau et des fleurs. Tel est le palais de Babour ».

Non seulement les Français logent dans des lieux de rêve et développent des relations sans nuages avec leurs partenaires afghans, mais l’entente au sein de la petite communauté française est elle aussi parfaite. Joseph Hackin, préfaçant le livre de Maurice Fouchet consacré à l’Afghanistan, écrit :

« A ce petit groupe de Français, la Légation apparaissait, par la vertu d’un accueil toujours affable,comme une véritable Maison de France. Les membres de la Délégation archéologique, voués par la nature même de leurs recherches à de longues randonnées, se rappelaient avec émotion la cordialité de l’accueil reçu et évoquaient sur le chemin du retour vers Kaboul la réconfortante vision du décor familier  ».

Ces relations exceptionnelles atteignent leur apogée avec la visite officielle en France du roi Amânullah et de son épouse Soraya en 1928. Le couple royal est reçu à Paris mais aussi à Lyon où il s’intéresse aux textiles.


En couverture de l’Illustration, le voyage à Paris Amânullah Khan (1892-1960), roi d’Afghanistan (1919-1929) et de la reine Soraya (janvier-février 1928) :

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Cette première période s’interrompt en 1929, avec la chute du roi.

Les troubles qui accompagnent son renversement affectent durement l’ambassade de France. Un récit particulièrement vivant en est laissé par Andrée Viollis, journaliste, qui arrive en octobre 1929 à Kaboul et tire de son séjour un ouvrage, « Tourmente sur l’Afghanistan » où elle reprend les anecdotes qu’elle a recueillies de la bouche des témoins de l’évènement, « dans la tiède lumière si légère et comme argentée, parmi les explosions toutes proches des coups de fusil et le soyeux sifflement des balles par-dessus les murs du jardin, obligatoire accompagnement auquel on se fait très vite ».

La légation était mitoyenne d’un palais appartenant au frère du roi et n’en était séparé que par un mur percé de portes. Au-delà, les accès étaient défendus « par une frêle ficelle que retenaient à chaque bout de magnifiques cachets de cire écarlate aux armes de la République française  ». Protection insuffisante face aux pillards. Les neuf gardiens des bâtiments échappent de justesse au peloton d’exécution.

La remise en état est lente. Albert Bodard, qui prend son poste en décembre 1931, signale l’état lamentable de la légation : toiture abîmée, crevasses dans les murs qui servent de refuge aux rats et aux souris etc. Grâce aux crédits qu’il obtient, il parvient à améliorer la situation, comme on le constate sur les photographies de la Légation en 1931.

Des voyageurs français prestigieux passent alors à Kaboul : André et Clara Malraux en 1930 puis en 1931, la Croisière Jaune en 1931…La vie diplomatique s’écoule paisiblement, selon un rythme suranné qu’évoque René Dollot, qui rappelle dans son ouvrage « l’Afghanistan » publié en 1937, le vie de ces années.

Le passage de la frontière est déjà un enchantement, puisque « toutes les formalités s’accomplissent à l’ombre des saules, à côté d’un ruisseau en cascade, entre des massifs d’œillets d’Inde ». L’accueil à Kaboul est organisé à une demi-heure des portes de la ville, dans un « élégant pavillon de chasse », dont l’intérieur, « avec sa double rangée de géraniums en fleurs, le long d’une vaste baie vitrée qui regarde vers la rivière, est plein de grâce orientale…Des gâteaux variés, un quatre-quart excellent, voisinent avec des mandarines de Djallalabad et ces raisins de table en grains détachés, gloire de Caboul et de Kandahar ».La présentation des lettres de créance se fait « dans une automobile de la Cour…encadrée d’une garde d’honneur à cheval, tunique rouge, bonnet à poils, le fusil en bandoulière ».. Deux fois par an, au printemps et à l’automne, le corps diplomatique est invité à une chasse après laquelle, écrit René Dollot :

« les oiseaux, qu’aucune détonation n’inquiète plus, sillonnent paisiblement des anses écartées tandis que les chasseurs prennent le thé. Aussi bien, durant plusieurs semaines, de grands oiseaux migrateurs se succèdent en vols innombrables et l’on entend, plus qu’on ne les distingue, les troupes de grues qui passent en triangle à d’invraisemblables hauteurs . »

L’entente entre les diplomates et les archéologues reste parfaite et la grande voyageuse suisse Ella Maillart évoque la présence au sein de la Légation de Joseph et Ria Hackin :

« La Légation de France est installée dans un palais afghan…Elle apparaît au fond d’un jardin rectangulaire dans lequel on pénètre par une porte cochère que surmonte l’écusson doré de la République. Un rideau de feuillage dissimule à droite de l’entrée la façade de la Délégation archéologique ; à gauche le corps de garde où les nuits d’été les soldats dorment en plein air sur les tcharpai, les lits afghans que l’on aperçoit partout aux jours chauds, … Une allée centrale qu’ombrage à sa naissance un vieux saule conduit au bassin. Presque toujours les soldats y suspendent la cage d’osier d’une perdrix rouge…ovale comme une hutte d’osier. L’allée se prolonge entre deux haies fléchissantes de jeunes saules qui dissimulent mal une nymphe de marbre blanc échappée de nos dépôts officiels. Des arceaux de bois pliant sous la vigne encadrent les allées latérales bordées de peupliers…La Légation elle-même est un bâtiment bas à l’afghane sans étage. Ses vastes pièces intérieures s’éclairent d’un jour tombant de lucarnes et ses plafonds, cloisonnés d’argent, d’or et d’incarnat, lui gardent un caractère oriental…. De petits ânes apportent l’été la neige de Pagman ou, venus de très loin, arrivent en longs convois chargés de souches de mûriers, les provisions de bois pour l’hiver…Dès l’aube, l’air s’emplit du chant des oiseaux…presque tous portent un plumage sombre qui s’harmonise avec la sévérité du paysage. Pourtant, quelques-uns se parent de vert émeraude ou d’azur et d’autres revêtent une cape mordorée. »

Jardin de la Légation française. Joseph Hackin, conservateur du musée Guimet pose vers 1923 avec Nadir, le chat de Maurice Fouchet, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire 
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Cette description n’a pas perdu toute actualité : le bâtiment, qui abrite aujourd’hui les bureaux d’un des principaux ministres du gouvernement afghan, a conservé ses plafonds ornés. La nymphe a suivi les diplomates et poursuit sa rêverie boudeuse dans un jardin que ne parcourent plus les ânes mais où les oiseaux sont toujours aussi nombreux.

Cette période heureuse touche pourtant à sa fin. Les bâtiments se dégradent à nouveau et le ministre de France, en avril 1940, dresse le sombre tableau d’une maison lézardée, médiocrement meublée (« des galeries Barbès »), où le bureau de l’ambassadeur s’ouvre sur le poulailler. Là encore, l’Histoire fait preuve d’une surprenante continuité : il existe toujours, au fond du jardin (mais à distance respectueuse du bureau de l’ambassadeur) un enclos où s’ébattent un coq et plusieurs poules !

Plus grave que la situation des édifices, la montée des périls fasciste et nazi affecte les Français de Kaboul. Les relations se tendent entre le représentant de la France, très hostile au Front Populaire et sa petite communauté en qui il voit un « condensé Liebig » des idées révolutionnaires, au premier rang desquels Joseph Hackin, le responsable de la Délégation archéologique. S’y ajoute la jalousie du diplomate face à la confiance dont le roi honore J. Hackin.

La Deuxième Guerre Mondiale conduit les uns et les autres à faire des choix. Dès l’appel du 18 juin 1940, Joseph Hackin décide de rejoindre la France Libre. Au Ministère des Affaires Etrangères qui lui propose de prendre la responsabilité de la légation (le ministre de France a été muté et le chargé d’affaires, M. Bonneau, s’est rallié au Général de Gaulle), Joseph Hackin répond par un refus et quitte l’Afghanistan avec son épouse, pour Londres. De là, ils sont envoyés en Asie et meurent tous deux le 20 février 1941 lorsque leur navire est coulé par une torpille. Le proviseur du lycée, M. Momal, fait le même choix.

Le gouvernement de Vichy nomme alors un autre diplomate, M. Chataigneau, qui prend ses fonctions en avril 1941 mais part en novembre 1942 (« la violation de la convention d’armistice m’autorise à reprendre le combat dans l’esprit de la citation que m’accorda le Maréchal Pétain en 1918 », écrit-il alors au Quai d’Orsay). La légation est fermée le 15 janvier 1943, les intérêts français sont confiés à la Turquie. En janvier 1944, le tour vient de la légation d’Afghanistan, qui ferme parce que Vichy refuse sa double accréditation en France et en Suisse.

2- De l’après guerre à nos jours

A la fin de la Deuxième guerre mondiale, les relations franco-afghanes reprennent leur cours normal et les deux légations sont élevées au rang d’ambassades. L’ Afghanistan continue d’attirer des voyageurs prestigieux, dont le Suisse Nicolas Bouvier, reçu par l’ambassadeur de France, « minuscule vieillard, tremblant d’enthousiasme et d’activité, surmonté d’un toupet blanc et qui aurait pu sortir d’une nouvelle de Gobineau ou d’un chapitre de Proust. Il vociférait gaiement car il était sourd comme un pot. C’était un diplomate exemplaire ». Il décrit la communauté française, forte d’une quarantaine de personnes, qui dispose

« … d’une sorte de club, au fond d’un jardin de curé, où l’on pouvait aller, une fois la semaine, boire frais, écouter des disques, puiser dans la bibliothèque, rencontrer des hommes singuliers qui connaissaient le pays à merveille et en parlaient sans pédanterie. Un accueil charmant, de l’animation, de la bonne grâce. Après 14 mois sur les routes et sans lecture, je redécouvrais le plaisir que c’est d’entendre un archéologue, retour de sa fouille d’Arachosie ou de Bactriane, encore tout chaud de son sujet, le verre à la main, s’emporter en digressions merveilleuses sur la titulature d’une monnaie ou le plâtrage d’une statuette. Plusieurs femmes spirituelles, d’autres jolies que nous allions regarder de fort près et aussi –la province ne perdant jamais ses droits- de ces dames qu’opposent sourdement, tout comme à Montargis ou Pont-à-Mousson, d’infimes querelles de préséance, de bobines, de tartelettes. Bref, un monde cocasse, intéressant, dont les personnages avaient pour s’affirmer assez d’espace et de liberté ».

L’Afghanistan n’en reste pas moins une terre d’aventures et Joseph Kessel, qui arrive en 1956, deux ans après Nicolas Bouvier, peut en témoigner :

« la petitesse de l’avion, l’orage de poussière qu’il soulève en touchant le sol craquelé, desséché, le profil singulier des bâtiments, les ceintures des crêtes arides qui ferment l’horizon et derrière lesquelles se devinent les ondulations des chaînes colossales donnent –et d’un seul coup- le sentiment d’être parvenu au bout de notre terre. »

D’autant plus que le télégramme qui devait annoncer leur arrivée n’est pas parvenu à l’ambassade, l’hôtel réservé depuis Paris est complet et c’est grâce à l’aide de passants afghans inconnus mais parfaitement francophones qu’ils finissent par trouver l’ambassade –hélas déjà envahie de visiteurs- et à s’aménager un logement de fortune dans le vestiaire du club français de Kaboul.

Alain Daniélou, le grand indianiste, sans doute mieux organisé et ami de l’ambassadeur, a plus de chance en 1959 et loge à l’ambassade, « une charmante maison ancienne. Christian (l’ambassadeur) avait fait aménager en chambres un ancien hammam voûté couvert de carreaux de faïence bleue. Dans le jardin clos de murs, on trouvait en abondance des trèfles à quatre feuilles. La reine de l’ambassade était une chatte siamoise qui trônait sur un tabouret de velours rosé au milieu du salon et acceptait les hommages avec noblesse ».

Mais les diplomates ne sont pas prisonniers de leurs palais afghans et Henri Caillemer, conseiller culturel évoquant en 1964 l’ambassadeur souligne « qu’il savait que ce n’est pas seulement entre les murs d’un bureau, mais dans ses villages et dans ses villes, sur ses pistes et dans ses campagnes qu’il pourrait saisir la profonde réalité d’un pays tel que celui-ci, percer son mystère et son secret ».

Les relations entre les deux pays sont excellentes. En 1964, la nouvelle Constitution afghane est adoptée. Elle a été rédigée avec l’appui d’un conseiller d’Etat français, Louis Fougère. En juin 1965, le roi Zaher Châh effectue une visite officielle en France. Le Général de Gaulle s’exclame :
« C’est par la culture que le mouvement dans les relations franco-afghanes a commencé, car tout procède de l’Esprit ».

Quelque temps après, le voyage en Afghanistan du JPEGPremier Ministre, Georges Pompidou (en mai 68…) est l’occasion d’inaugurer la nouvelle ambassade. Il s’agit d’une villa probablement construite dans les années 50 et ayant appartenu jadis au prince Sardar-Naïm, construite dans une parcelle de l’ancien parc royal. L’ensemble est acheté en mars 1967 et les travaux d’aménagement et de construction durent une année. Aucune modification fondamentale ne lui a été apportée depuis lors. Le Premier Ministre pose aussi la première pierre du lycée Esteqlal entièrement rénové (photo ci-contre).

A peine la nouvelle ambassade a-t-elle été inaugurée qu’elle reçoit la visite d’Albert Diato, céramiste monégasque, fondateur du « Tryptique » de Vallauris, groupe artistique en contact avec Picasso. Albert Diato vient à l’initiative du roi qui souhaite que la France aide les potiers du village traditionnel d’Istalif à améliorer la qualité de leurs produits. L’artiste réalise la mission qui lui a été confiée mais il exécute aussi, à la demande de l’ambassadeur, un décor en céramique pour la résidence, avec des éléments en lapis-lazuli. Conçu pour orner le manteau de la cheminée, ce décor est toujours en place. Albert Diato n’arrête pas là son histoire avec l’Afghanistan : il revient y passer trois années comme représentant du Bureau International du Travail.

Mais les nuages s’accumulent à nouveau : coup d’Etat en 1973 qui conduit à la déposition du roi, puis en 1978 contre le Président Daoud qui est assassiné avec sa famille, invasion soviétique en décembre 1979. L’ambassadeur, Georges Perruche, est alors rappelé à Paris et l’épopée des « French doctors » commence. En 1985, Kaboul décide d’interrompre toute coopération culturelle avec la France. Le chargé d’affaires qui continue de représenter notre pays en Afghanistan consacre alors une partie de son énergie à sortir des geôles du régime les Français qui ont été capturés : médecins (Philippe Augoyard, de janvier à juin 1983, qui relate son aventure dans « la prison pour délit d’espoir »), journalistes (Jacques Abouchar, retenu en septembre-octobre 1984, auteur de « Dans la cage de l’ours ») et autres (Alain Guillo, d’août 1987 à mai 1988, qui publie ensuite « Une évasion spirituelle des prisons de Kaboul »). Certains humanitaires paient leur engagement de leur vie : Thierry Niquet, Frédéric Galland…

En 1988, une grande partie des objets de décoration du Mobilier National, les tableaux, les tapis et l’argenterie de l’ambassade sont détruits lors de l’incendie de l’ambassade d’Allemagne où ils étaient entreposés. D’autres objets, confiés à l’ambassade de Turquie, sont sauvés.

A partir de 1992 et la chute du régime communiste, l’ambassade est prise dans la tourmente des affrontements entre les factions de la résistance. Trois employés locaux, Rahmudine, Mehradjodine et Nabi sont tués le 13 septembre 1993 alors qu’ils se déplaçaient en camion dans Kaboul pour l’ambassade. Le 7 mars 1994, une roquette pulvérise le porche en béton où Michael Barry, universitaire alors en mission pour Médecins du Monde, se tenait habituellement pour déjeuner. Par chance, M. Barry et son équipe venaient de quitter les lieux, invités par Massoud à venir discuter d’une procédure de distribution médicale.

A l’arrivée des talibans, en 1996, le lycée Esteqlal est transformé en madrassa, son homologue féminin, Malalai (créé au lendemain de la deuxième guerre mondiale) en dortoir pour les talibans.

Le lycée Esteqlal à la fin des années 1990

L’ambassade subsiste, avec un chargé d’affaires qui effectue des allers-retours. Stéphane Allix, journaliste, relate le dîner organisé pour le vice-ministre de l’information et de la culture, au moment où les rumeurs sur la destruction volontaire et systématique du patrimoine archéologique afghan se précisent :

« Nous prenons place dans le salon. C’est une pièce vaste et haute de plafond. Un coin cheminée, âtre et canapés, est situé en contrebas. La rotonde est ouverte sur une immense baie vitrée donnant sur un jardin de pins. L’atmosphère est très « années 80 ». D’imposantes statues du Nouristan ajoutent à cette désuétude…C’est avec émotion que nous pénétrons dans ce tout petit morceau de France qui, malgré tout, reste habité, vivant et chauffé…Dans de grandes cantines entreposées dans un couloir est gardée une partie de la mémoire de la DAFA…Des millénaires de mystères, d’énigmes, bien des découvertes à faire encore. Cette bibliothèque appelle, murmure et propose de s’enfermer à demeure dans cette ambassade ».

Dès la chute des talibans, les relations sont rétablies à un niveau normal. L’ambassade d’Afghanistan à Paris rouvre ses portes en janvier 2002 et un nouveau chargé d’affaires est nommé à Kaboul. Celui-ci, Jean-Marin Schuh, décrit ainsi son arrivée :

« La base aérienne de Bagram a été construite par les Russes au milieu de nulle part…Quatre-vingts kilomètres plus loin, vers le sud, on a traversé quatre années de ligne de front et vingt ans de guerre. Villages détruits, champs minés, vignes desséchées, vergers coupés à mi-tronc, carcasses en tous genres, quelques chars encore actifs…Les employés afghans de l’ambassade sont restés là. Pas payés depuis six mois mais fidèles au poste. Gardant le château de la Belle au bois dormant. Endormie depuis quinze ans, l’ambassade est réveillée brusquement. Le cuisinier doit préparer des montagnes de riz fumant, le traditionnel palau afghan et la tarte aux pommes spécialité maison, pour les journalistes qui débarquent de Bagram en rangs serrés…Les équipements vieux de vingt ans donnent d’inquiétants signes de faiblesse. Les radiateurs fuient, les tuyaux d’évacuation se bouchent, la chaudière tombe en panne, les voitures et la valise chiffrante aussi. …Fin février, tout a changé, déjà…La pluie efface les dernières traces d’un hiver trop court. Le jardinier rebouche péniblement les trous laissés par des ouvriers qui s’affairent chaque jour plus nombreux dans l’ambassade. Arbres coupés, pelouse meurtrie, rangées serrées de barbelés coupant comme du rasoir, la maison des courants d’air se hérisse de défenses. Les caisses en bois fraîchement débarqu ées des avions militaires du contingent français encombrent la cour. Nouveau générateur, pièces détachées, matériels informatiques et même les premières bouteilles de vin français. »

Moins de deux mois après son intronisation, le Président Karzai est reçu à Paris et le Ministre des Affaires Etrangères français, Hubert Védrine, se rend sur place le 23 mars, avec le nouvel ambassadeur.

Depuis lors, les relations bilatérales ont repris leur envol, avec trois visites en France du Président Karzai, les visites à Kaboul des Présidents Sarkozy et Hollande (sa première visite bilatérale à l’étranger après sa prise de fonctions). En 2006, le Musée Guimet ouvre les portes de l’exposition « Afghanistan, trésors retrouvés », qui sonne comme un message d’espoir, même si l’assassinat de compatriotes –Bettina Goislard à Ghazni en novembre 2003, alors qu’elle travaillait pour le Haut Commissariat aux Réfugiés, puis Séverin Blanchet en février 2010, lors d’une mission consacrée à la formation de scénaristes afghans- montrent que la situation reste difficile. 88 soldats français engagés sur le théâtre afghan sont tués au service de la France et leurs noms sont désormais gravés à l’entrée de l’ambassade.

En 2010, des travaux de remise en état et de décoration sont confiés à Damien Girès (agence Le Plan B). Celui-ci est attentif à respecter l’atmosphère typique des années 50/60, avec les luminaires originaux, les sols en marbre dénués de logique géométrique, la fontaine qui orne le patio. Les propositions qui sont faites visent d’abord à remettre en état ce qui doit l’être (les murs sont fissurés, les peintures noircies et tachées) mais aussi à améliorer le confort et l’usage et à valoriser les espaces de réception. Pour ce faire, il est proposé d’uniformiser le style des meubles et aménagements, de mettre en valeur l’architecture et d’introduire une touche de raffinement et de création. La réalisation de ces travaux témoigne de la confiance de la France dans l’avenir de l’Afghanistan.

Cette confiance est affirmée de façon plus solennelle encore en 2012, avec la signature d’un Traité d’amitié et de coopération, soumis aux deux Parlements et qui engage nos deux pays pour les prochaines décennies.

 

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